Microbiotes vaginal et intestinal, des liens étroits
De nombreuses pathologies féminines, notamment hormonodépendantes, seraient liées à un déséquilibre des microbiotes vaginal et intestinal. Outre la correction des facteurs de risque, la prise en charge des patientes doit donc reposer sur une restauration de ces deux microbiotes, à l’aide de probiotiques, de prébiotiques et/ou de post-biotiques, estiment le Dr Gilles Brami, médecin biologiste à l’Institut Alfred-Fournier (Paris), et Mathieu Almeida, expert en analyse métagénomique du microbiote intestinal humain au centre de recherche INRAE-MetaGenoPolis.
Si l’on perce peu à peu le mystère qui entoure le microbiote intestinal, son pendant vaginal reste moins connu. Équilibré lorsqu’il est peu diversifié et dominé par les lactobacilles, il se caractérise par sa forte résilience malgré les changements hormonaux auxquels il est soumis tout au long de la vie des femmes (puberté, grossesse, ménopause). « Quand tout va bien, les variations œstrogéniques modifient temporairement l’équilibre du microbiote vaginal mais ce dernier revient très vite à son état naturel », explique le Dr Gilles Brami, médecin biologiste à l’Institut Alfred-Fournier (Paris).
Le tabac, premier facteur de risque de dysbiose vaginale
Pour autant, certains facteurs peuvent perturber cet équilibre, poursuit le spécialiste. « Les causes de dysbiose vaginale connues sont le tabac (à partir de quatre cigarettes par jour), la prise d’hormones (notamment la pilule microdosée qui contient très peu d’œstrogènes), les antibiotiques, ou encore un excès d’hygiène (douches vaginales, savon inadapté, l’épilation intégrale…). On découvre aujourd’hui que le stress chronique, en augmentant la sécrétion de cortisol, provoque une déplétion en œstrogènes et peut entraîner une dysbiose du microbiote vaginal. Une alimentation riche en graisses saturées serait également un facteur de risque. Enfin, des travaux sont en cours pour rechercher l’existence d’un lien avec la technique de by-pass utilisée pour lutter contre l’obésité. »
Un déséquilibre du microbiote vaginal, caractérisé par une perte de la prédominance des lactobacilles, expose à de multiples pathologies, poursuit l’expert : la vaginose bactérienne « par raréfaction de la flore protectrice au profit d’une flore pathogène anaérobie telle que Gardnerella, Atopobium, Prevotella… » ; la candidose vulvovaginale liée à la prolifération de la levure Candida albicans ; une augmentation du risque d’infections sexuellement transmissibles comme le papillomavirus et le VIH ; mais aussi la transformation d’infections à HPV de bas grade en infections de haut grade. « Une dysbiose chronique peut aussi favoriser une vulvodynie, les cystites récidivantes, diminuer la fertilité et exposer les femmes enceintes à un risque d’accouchement prématuré. »
Le rôle du microbiote intestinal
Le microbiote vaginal ne serait toutefois pas le seul à être impliqué dans toutes ces pathologies féminines ; il semblerait que des microbes spécifiques du microbiote intestinal, regroupés sous le terme d’estrobolome, jouent un rôle central dans la régulation des œstrogènes et donc dans le développement des maladies hormonodépendantes comme l’endométriose, le syndrome des ovaires polykystiques ou le cancer du sein. Une hypothèse confortée par plusieurs éléments : la coexistence fréquente de troubles digestifs, un microbiote intestinal moins diversifié et dominé par des espèces très peu présentes chez les femmes en bonne santé.
Car, contrairement au microbiote vaginal, un microbiote intestinal sain doit être très riche et diversifié. « Une dysbiose du microbiote intestinal se traduit par une diminution de la richesse microbienne et une moindre diversité des espèces, précise le Dr Mathieu Almeida, expert en analyse métagénomique du microbiote intestinal humain au centre de recherche INRAE-MetaGenoPolis. On a observé que toutes les maladies chroniques dont la prévalence augmente dans nos sociétés —obésité, diabète de type 2, cancer colorectal…— sont associées à un microbiote intestinal moins riche. En revanche, cause ou conséquence, c’est encore difficile à dire. »
Et le chercheur de poursuivre : « La composition du microbiote intestinal est fortement influencée par notre mode de vie, en particulier notre alimentation, la consommation excessive d’antibiotiques, le stress et la pollution ». Outre les maladies gastro-intestinales, des maladies métaboliques, immunitaires ou neurologiques seraient associées à une dysbiose du microbiote intestinal.
« Mais, attention, relativise Mathieu Almeida : on n’explique pas tout avec le microbiote, beaucoup de ces troubles sont liés à des anomalies génétiques. »
Une prise en charge globale
C’est pourquoi la prise en charge des femmes souffrant d’une maladie de l’appareil génital doit être globale, insiste le Dr Gilles Brami. « Écoutez votre patiente, donnez-lui un traitement pour restaurer son ou ses microbiotes, et pensez à traiter en parallèle ses facteurs de risque, sans quoi ça ne marchera pas.
La prise en charge doit être multifactorielle et multidisciplinaire et faire appel au kinésithérapeute, au psychologue, au diététicien… » Abaisser le stress, avoir une alimentation plus équilibrée, limiter la prise de médicaments… Toutes ces approches doivent compléter le traitement conventionnel, lequel doit être associé à des probiotiques, des prébiotiques et des symbiotiques.
Depuis 2021, conformément à une directive européenne, seuls les probiotiques per os, vendus sous le statut de compléments alimentaires, sont commercialisés —les probiotiques par voie vaginale doivent désormais disposer d’une AMM car il s’agit de souches vivantes. La plupart des laboratoires ont donc arrêté d’en commercialiser. Mais ce qui se développe surtout aujourd’hui, ce sont les postbiotiques. Il s’agit par exemple de souches bactériennes tyndallisées (autrement dit pasteurisées), qui sont donc inactives mais qui conservent leurs propriétés immunohistochimiques ainsi que leur rôle dans la restauration de l’architecture du microbiote vaginal.
Utilisées seules en cas de simple inconfort vaginal, elles sont prescrites en cures en plus du traitement en cas de vaginose avérée. « Et chez une femme souffrant de candidose, plutôt qu’un antifongique, on opte de plus en plus pour un antiseptique local à base de chlorure de déqualinium que l’on associe à des symbiotiques et des postbiotiques », illustre le médecin.
Des essais sont par ailleurs en cours pour évaluer l’intérêt d’une greffe de microbiote vaginal dans les vaginoses récidivantes, une alternative naturelle aux antibiotiques.
Rédigé par Amélie Pelletier.
TLM 133 Oct-Noc-Dec 2023.