Entretien avec Dr Christian Jamin
Les statistiques le prouvent : la fertilité est en berne. En près de 50 ans, le sperme humain a vu sa qualité baisser de 50%, le volume séminal s’est réduit d’un quart, et le nombre de spermatozoïdes malformés est en nette augmentation. Le nombre de couples français ne parvenant pas à concevoir après 12 mois de tentatives sans contraception a doublé en 20 ans. Derrière ces chiffres alarmants se cachent pourtant aussi d’autres raisons, moins médicales, fondées sur des nouveaux comportements impactant la fertilité. Les couples ont changé, et leur vie sexuelle aussi. Les femmes font aussi plus tardivement leur premier enfant, ce qui modifie fondamentalement la compréhension que l’on peut avoir du phénomène.
Dr Christian Jamin est gynécologue et endocrinologue gynécologique, spécialiste de la question du traitement hormonal chez la femme. Spécialiste des sujets de contraception et de fertilité, il nous livre ici une analyse libre et circonstanciée des facteurs humains et sociaux déterminant cette inéluctable baisse de la fertilité en France.
Quels sont les grandes tendances qui caractérisent les comportements impactant la fertilité en 2020 ?
On peut relever deux phénomènes majeurs dans le domaine de la fertilité, en dehors du seul scope médical :
Tout d’abord, l’âge de plus en plus tardif du premier enfant. Les femmes font des enfants médicalement parlant tard, beaucoup trop tard. A l’âge de 30 ans – l’âge moyen de la première grossesse – une femme doit avoir deux fois plus de rapports sexuels qu’à 20 ans pour avoir un enfant. Cela s’effondre à partir de 38 ans, et globalement la fertilité devient très problématique dans les dix ans précédant la ménopause. L’âge moyen de la ménopause étant de 50 ans, beaucoup de femmes deviennent de facto stériles à partir de 40 ans.
Beaucoup de femmes ont du mal à avoir des enfants, tout simplement au regard des nouveaux impératifs qui s’imposent à elles. Avant de devenir maman, il faut avoir fait des études, avoir un travail, un conjoint, être installée dans la vie – tout avoir pour donner le meilleur à ses enfants.
Cela engendre un recul inévitable et très délétère de l’âge de la première grossesse en France. C’est une catastrophe médicale et sociale, car le nombre d’enfants qui naissent chaque jour ne fait que diminuer.
Le nombre de bébés diminue, car s’y prenant trop tard, on n’a tout simplement plus le temps de dépasser un voire deux enfants, mais parfois pas du tout. L’enfant est devenu l’obsession des femmes d’après 35 ans, une obsession paradoxale : on veut des enfants, mais on ne les a pas fait pas au moment où la nature l’avait prévu. Tous les jours je vois passer des femmes en couple de 30 ans et plus qui à la question « où en êtes-vous de votre projet d’enfants ? », répondent « mais c’est trop tôt ! »
Le deuxième facteur clé de compréhension c’est l’évolution des comportements sexuels au sein du couple. Aujourd’hui, les jeunes adultes – étrangement – se mettent en couple très tôt, souvent dès l’âge de 20 / 22 ans, beaucoup plus tôt qu’auparavant. Or pour concevoir, il est logiquement et naturellement nécessaire d’avoir une vie sexuelle active ; de ce point de vue, l’expérience montre que plus on vit longtemps en couple, moins on a de rapports sexuels avec son partenaire.
Sur le plan de la physiologie de la reproduction, on sait qu’un spermatozoïde vit cinq jours, mais que son potentiel de fécondité est optimum trois jours. Cela revient à faire le calcul qu’il faut faire l’amour a minima tous les trois jours pour augmenter ses chances de concevoir. Dans un cadre où les rapports sexuels s’espacent avec le temps au sein du couple, la fertilité – automatiquement – recule. J’observe beaucoup de couples qui décident d’avoir un enfant autour de 33 ou 34 ans, qui vivent ensemble depuis dix ans, mais qui ne font plus beaucoup l’amour. Une fois par semaine, voire toutes les deux semaines ou moins encore.
Alors certes, il existe des facteurs médicaux et aussi probablement environnementaux, mais cette dimension comportementale est fondamentale si l’on veut réellement comprendre la nature de cette chute de la fertilité.
Cette baisse de la fertilité est donc en grande partie intrinsèquement liée à la mutation des modes de vie ?
Pour moi, sans aucun doute. Aujourd’hui, professionnellement, la femme peut envisager un jeu égal avec les hommes. Mais, d’un coup, son horloge biologique siffle la fin de la récréation : il est temps de faire des enfants.
Les femmes sont prises dans un étau, avec d’un côté la course pour un accomplissement professionnel, et de l’autre une urgence soudaine qui fait irruption une fois passé le cap de la trentaine.
Cette pression soudaine enclenche une obsession inverse, schizophrène et psychologiquement délétère, ce qui n’arrange rien, et un rapport contrarié à la maternité : trouver le père de son futur enfant, songer à la cryoconservation folliculaire…
Peut-on dire qu’il existe une sociologie de la fertilité ? Qu’une femme vivant dans un milieu plus aisé, évoluant dans un contexte professionnel plus exigeant aura plus de mal à concevoir qu’une femme vivant dans un cadre moins oppressant ?
Ce clivage – s’il existe vraiment – est à mon sens en train de définitivement s’estomper. Le phénomène que je décris ici est un phénomène global, peu favorable à la femme, exigeant avec leur réussite. Les femmes deviennent globalement de plus en plus citadines, et surtout subissent de plus en plus la pression médiatique et sociale. Cette tendance n’empêche pas que, paradoxalement dans les milieux les plus défavorisés, un phénomène inverse existe avec pléthore d’IVG et d’enfants freinant la nécessaire progression sociale.
Cette pression redéfinit aussi les projets prioritaires du couple : il faut dorénavant profiter de son couple avant de faire un enfant. La vie avant bébé est faite d’obsessions de voyages lointains, et de consommations obligées. L’arrivée d’un enfant est l’instant de rupture que l’on doit préparer, tout en le concevant comme un coup d’arrêt à une vie sans contraintes et empreinte d’un consumérisme frénétique. C’est ce modèle standard qui aujourd’hui se diffuse et se démocratise.
Il faut également relever que les hommes ont aussi davantage – et plus qu’hier – peur des responsabilités. Leur pouvoir décisionnel s’efface dans leur couple, il est pour eux toujours trop tôt de prendre des décisions importantes. La peur de se lancer domine, alors que l’horloge biologique ne les concerne pas vraiment. Aujourd’hui l’enfant est le seul événement qui les engage vraiment, contrairement au couple ou au mariage. Les hommes se replient sur le célibat ou sur un couple ou le projet d’enfant est sans cesse repoussé, facteur d’angoisse supplémentaire pour cette femme devenue pressée. Certains poussent ce refus de choix jusqu’à quitter leur partenaire insistante, de plus de 35 ans, la laissant à son triste sort infertile et seule et cela après plus de 10 ans de vie commune. Quand une femme de 33 ans cherche le futur père de son enfant, elle ne trouve ainsi pas grand monde à l’arrivée, ce qui n’arrange rien à la pression qu’elle endure à ce moment pourtant crucial de sa vie.
Comment les femmes vivent-elles les choses aujourd’hui ? Parviennent-elles à objectiver ce qui s’impose à elles ?
Mon point de vue est qu’elles vivent et agissent sous le joug de l’implacable injonction de profiter de la vie, de jouir d’une existence placée sous le signe d’un travail nécessaire, du « manger correct » (l’orthoréxie), du « vivre correct », du « mariage correct », des « enfants correct ». Elles suivent le parcours social qu’on attend d’elles, mais qui est à contre-courant de leur réalité biologique.
Ne pas avoir d’enfant est devenu sociologiquement moins discriminant parce que le nombre de couples ne pouvant pas avoir d’enfants s’est accru avec le temps, « normalisant » cet état de fait. Pour autant, la volonté de maternité reste forte, mais de plus en plus tardive.
La cryoconservation folliculaire (congélation pour mise en réserve de follicules) devient la solution miracle. Seulement voilà, le meilleur âge pour avoir recours à une cryoconservation, est avant 30 ans ! A 30 ans, beaucoup de jeunes femmes ne sont pas en couple et en tout cas se trouvent trop jeunes pour aliéner leur vie avec un enfant, sans même parler de l’homme pour qui c’est inconcevable ! A 35 ans, certaines perçoivent cette option comme le bon moyen de finalement tomber enceinte, alors qu’elles ont perdu la moitié, voire les trois-quarts de leur capital fertilité !
Ce constat repose sur l’idée totalement fausse consistant à penser que la PMA va les aider à concevoir plus facilement après 35 ans. Or, les mauvais résultats d’une opération de PMA sont d’abord liés au facteur de l’âge ! Historiquement – et on a tendance à l’oublier – les premières opérations de PMA avaient pour finalité de palier la sténose tubaire de jeunes femmes en pleine possession de leur fertilité. La PMA est aujourd’hui dans l’immense majorité des cas proposée à des couples dont le facteur majeur de stérilité est directement ou indirectement lié à l’âge de la femme. En effet dans un couple les facteurs d’hypofertilité se potentialisent et une hypofertilité masculine peut ne se révéler que si la fertilité féminine à baissé. L’hypofertilité masculine était auparavant souvent non apparente lorsque la partenaire avait moins de 30 ans la fertilité de l’un compensant la faiblesse de l’autre.
Ceci explique aussi en partie la baisse apparente de qualité des spermogrammes car recherchée alors qu’elle était inaperçue auparavant. Ainsi les parcours de PMA débutent aujourd’hui le plus souvent au bout de six mois de tentatives infructueuses, alors qu’on les amorçait auparavant au bout de deux ans. Le vrai problème ne se situe donc pas dans le laps de temps durant lequel on essaye de concevoir, mais encore une fois dans un âge de tentative en perpétuel recul qui nous impose une prise en charge rapide. La fécondation in vitro lors des stérilités liées à l’âge de la femme donne des résultats plutôt médiocre (25% avant 38 ans 8% après par tentative) car l’âge des ovocyte reste l’âge des ovocytes en fertilité naturelle comme en fertilité médicalisée !
Ces multiples réalités ne sont-elles pas également liées à une nouvelle manière de vivre sa vie d’adulte ?
Oui complètement. On dit communément aujourd’hui que « la durée de vie augmente ». Ce n’est pas tout à fait juste. C’est en réalité la durée de vie adulte qui diminue, pendant que la durée de vieillesse augmente et que la vie post-adolescente s’allonge de manière démesurée. Cet état d’immaturité sociale s’éternise parce que les études s’allongent, parce que l’on débute aussi sa carrière plus tard, parce que les pouvoirs publics préfèrent – et il faut avoir le courage de le dire – avoir une plus grande population d’étudiants que de chômeurs. On est adulte à 30 ans, plus à 18 ans. Les femmes d’autrefois « coiffaient Sainte-Catherine » à 25 ans. Aujourd’hui plus personne ne se marie à 25 ans, plus personne n’a d’enfants à 25 ans ! La fenêtre de tir pour concevoir devient – dans ce contexte – logiquement de plus en plus étroite.
Quelles démarches faudrait-il initier pour changer la donne ?
La communication médiatique et journalistique déployée actuellement autour de ces sujets ne va pas vraiment dans le sens d’une plus grande prise de conscience avec en première page de grands magazines la photo de stars ayant dépassé la quarantaine avec un bébé dans les bras sans que soit révélé s’il y a eu intervention médicale et surtout laquelle !
Vouloir aider réellement les femmes reposerait sur le fait de leur rappeler la réalité. Quel dirigeant politique oserait aujourd’hui dire aux femmes électrices qu’elles commencent à vieillir dès l’âge de 28 ans ? Comme le dit Platon, le risque de la démocratie c’est la démagogie.
Comme je le disais précédemment, les jeunes générations se mettent en couple de plus en plus tôt, mais la définition même du couple a changé. Les générations d’avant étaient très certainement plus coquines, plus débridées, plus instables aussi, mais elles finissaient par passer à l’acte. Les générations actuelles jouent à l’acte sans le vivre vraiment. Adeptes de la fidélité alternative, la durée de vie de leurs couples successifs se raccourcit, en contrepartie d’une fidélité plus forte, mais plus ramassée dans le temps.
Cette forme de couple impacte aussi leur sexualité : les études récentes montrent que la fréquence des rapports sexuels s’effondre dans leurs relations quotidiennes. Sur le plan de la contraception, si l’on croise le fait que de plus en plus de femmes abandonnent tout type de moyen contraceptif avec les données statistiques montrant que le nombre d’IVG augmente de manière relativement mesurée, on retrouve également cette même conclusion : le sexe déserte la vie des couples, au profit d’autres ambitions, d’autres envies.
Paradoxalement, ces générations se protègent volontiers médicalement lorsqu’il s’agit d’un sexe vécu hors couple; la contraception disparaît précisément avec l’apparition du couple. Moins de contraception efficace médicalisée, car moins de sexe, tout simplement. Ainsi certains couples réintroduisent l’usage du préservatif ou ont à nouveau recours au retrait. Les contraceptions médicales sont dorénavant perçues comme un frein alors qu’elles étaient autrefois synonymes de liberté pour un couple désireux de vivre sa vie sexuelle sans contraintes.
Comment remédier à cette aberration biologique de l’âge de plus en plus tardif des grossesses ?
Cela passe avant tout par une prise de conscience de cette réalité par le plus grand nombre qui devra générer une réflexion sociétale et une implication des pouvoirs publics pour apporter des solutions indispensables à la pérennité de notre modèle de société.