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MagazineBien-êtreComment aider les femmes victimes de violences à se reconstruire

Comment aider les femmes victimes de violences à se reconstruire

En 2016, la Dre Ghada Hatem, gynécologue, inaugurait dans la ville de Saint-Denis la Maison des femmes, une structure qui propose un soutien et un accompagnement aux femmes victimes de violences. Cinq ans plus tard, Nicolas Wild met en bande dessinée les femmes qui viennent y chercher de l’aide et tout ce que fait pour elles l’équipe de l’établissement. Danièle Brune, psychanalyste, réfléchit à ce qui permet de délivrer la féminité des clichés. Ensemble, ils nous aident à mieux comprendre ce qui peut aider les femmes victimes de violences à se reconstruire.

Montrer que les femmes de toutes les catégories sociales et de toutes les origines peuvent être victimes

Fémi-9 : Comment est née l’idée de la BD À la Maison des femmes ?

Nicolas Wild : C’est l’agent littéraire Nicolas Grivel qui m’a proposé de faire une BD sur la Maison des femmes. Sa compagne travaillait dans ce lieu et il m’a contacté pour me parler de ce projet. Mais je ne savais pas si j’allais réussir à mélanger contenu informatif et forme de divertissement pour traiter ce sujet délicat, ni si les femmes de l’établissement accepteraient de me parler.

Nicolas Wild : Le récit de Nour est très fort, très pesant. Mais à partir du moment où j’ai commencé à transformer son témoignage en bande dessinée, je me suis détaché du caractère dramatique de son histoire pour me concentrer sur des questions d’ordre technique : la construction des planches, inventer les personnages secondaires, etc. J’ai vite retrouvé le plaisir de la narration et cela m’a permis, j’espère, de retranscrire au mieux son histoire.

 

Fémi-9 : Comment avez-vous fini par dépasser vos doutes ?

Nicolas Wild : Pour les femmes qui viennent chercher de l’aide à la Maison des femmes, il s’agit d’un refuge, un endroit où elles se sentent en sécurité. Comme je leur étais présenté par des personnes en qui elles avaient confiance, je faisais partie à leurs yeux d’un ensemble bienveillant et contrairement à ce que je craignais, elles ont été nombreuses à bien vouloir se livrer. Beaucoup m’ont dit : ” La parole libère…” Et de témoignage en témoignage, j’ai compris que ces femmes étaient fières de me parler de leur parcours et heureuses de voir quelqu’un qui voulait en faire une BD. La question de ma légitimité à porter ce projet est alors passée au second plan, je voulais juste ne pas les décevoir.

 

Fémi-9 : Combien de temps avez-vous travaillé sur cette BD ?

Nicolas Wild : Au départ, je ne pensais passer qu’une semaine à la Maison des femmes et le livre devait être réalisé en un an. J’y suis venu pour la première fois en novembre 2017, j’y ai passé une semaine en juillet 2018 et même si j’ai récolté beaucoup de témoignages, je voulais assister à certains événements qu’il me semblait important de raconter, comme des groupes de paroles, des réunions, le procès d’un mari violent, etc. Je voulais aussi parler avec le plus de personnes possible pour retranscrire les nombreuses formes de violences que peuvent subir les femmes. Et montrer que les femmes de toutes les catégories sociales et de toutes les origines pouvaient en être victimes.

J’ai souvent peur de ne pas avoir assez de matière quand j’écris sur le réel… Mais il faut aussi savoir s’arrêter parce qu’on pourrait faire des recherches toute sa vie pour un livre qu’on n’écrira jamais ! Au final, j’ai travaillé près de trois ans et demi sur cette BD.

 

Fémi-9 : Comment avez-vous organisé votre travail sur cette BD ?

Nicolas Wild : J’ai très peu dessiné lorsque j’étais à la Maison des femmes, j’ai surtout pris des notes dans des carnets. J’ai rencontré certaines femmes une seule fois, d’autres plusieurs, comme Sophie qui est devenue une amie. J’ai essayé de rapporter le réel de deux manières : en interrogeant des personnes qui m’ont raconté leur vie, puis en cherchant de la documentation pour dessiner les pays ou les gens dont elles m’avaient parlé.

Et aussi en observant ce qui se passait à la Maison des femmes, en essayant de passer inaperçu. Cette deuxième option est celle qui prend le plus de temps mais c’est aussi celle que je préfère car elle me permet de récolter des moments du quotidien. Dans les deux cas, cela implique que le dessin arrive a posteriori du recueil d’informations, tout comme la réflexion du découpage case par case. Les personnages de cette BD ressemblent plus ou moins à leurs modèles, avec leur accord. J’ai gardé les vrais prénoms du personnel soignant mais j’ai changé ceux des femmes qui m’ont livré leurs témoignages.

 

Fémi-9 : À la Maison des femmes vient de sortir. Êtes-vous content du résultat ?

Nicolas Wild : Oui, j’en suis très fier ! D’autant plus que je ne me sentais pas à la hauteur du projet quand on me l’a proposé. Cela me prouve qu’il est bon d’aller au-delà de sa zone de confort, j’en sors grandi. J’y ai gagné beaucoup de cheveux blancs et un peu de sagesse (rires). Et je voudrais conseiller aux hommes de lire cette BD, qu’ils n’hésitent pas à demander aux femmes de leur entourage si elles sont en détresse ou si elles ont vécu des choses qu’ils n’avaient pas remarquées.

 

Fémi-9 : Envisagez-vous un deuxième tome ?

Nicolas Wild : Pourquoi pas ! Mais se replonger dans ce genre d’univers prend beaucoup d’énergie, ce ne sera donc pas pour tout de suite. L’idée serait plutôt de faire une suite d’ici cinq ans pour voir où en sont les différentes personnes dont j’ai déjà raconté l’histoire. Et d’inclure aussi de nouvelles thématiques comme les féminicides ou le harcèlement de rue.

 

Le regard de Danièle Brun sur la BD de Nicolas Wild et la Maison des femmes :

Bravo pour cette BD qui décrit une structure essentielle pour aider des femmes qui sont encore imprégnées des violences qu’elles ont subies. J’ai lu les histoires de ces migrantes et de ces femmes victimes de violences sexuelles et conjugales qui trouvent un accueil maternel dans l’établissement de Ghada Hatem. La plupart d’entre elles sont encore dans un temps de traumatisme, préliminaire à un temps d’apaisement. Ce lieu peut les aider à s’exprimer pour reprendre leur place, retrouver la parole et se libérer de l’emprise qu’elles ont supportée. Le but étant pour elles d’avoir de nouveau accès à leur féminité, afin qu’elles ne soient plus définies par leur identité de femmes violentées.

 

Nicolas Wild : Ghada a un emploi du temps très rempli mais elle m’a vite invité à assister à des événements avec elle, comme son intervention au Parlement. Elle a joué le jeu et m’a ouvert beaucoup de portes, j’ai adoré livrer un aperçu des actions qu’elle entreprend pour mener à bien son rêve, ce lieu qu’elle a créé_ Sa détermination m’a impressionné : elle qui a fui le Liban en guerre dans les années 1970 accueille entre autres maintenant des femmes qui, elles-mêmes, ont fui des pays en guerre et qui ont besoin de se reconstruire. Un parcours en forme de passage de relais…

 

Le regard de la Dre Ghada Hatem sur la BD de Nicolas Wild:

À son ouverture, la Maison des femmes était un projet un peu confidentiel car les violences faites aux femmes n’étaient pas un sujet noble. Depuis, l’évolution de la société a fait que le problème est devenu brutalement d’actualité. Tout le monde s’en est emparé et nous sommes devenus un acteur incontournable du paysage de la lutte contre les violences faites aux femmes, sans que nous l’ayons anticipé.

Aujourd’hui, nous avons aidé presque vingt mille femmes, nous accompagnons vingt-cinq villes qui sont engagées dans un projet similaire au nôtre, notre expertise est reconnue par le gouvernement qui nous sollicite régulièrement et nous venons d’ouvrir un lieu d’hébergement à Paris pour les femmes de 18 à 25 ans qui sont victimes de violences à domicile.

Je suis fière de ce que nous avons accompli et je trouve que la médiatisation autour de notre structure est positive. J’étais donc favorable à cette idée de BD mais je ne connaissais pas le travail de Nicolas. J’ai lu plusieurs de ses romans graphiques et j’ai vite constaté qu’il n’avait aucun mal à se faire accepter chez nous grâce à sa posture bienveillante et à son caractère doux. Même si je n’étais pas inquiète sur le fait qu’il s’intègre car la Maison des femmes n’est pas la Maison des anti-hommes ! Des médecins ou des policiers interviennent régulièrement et je me doutais qu’après un temps d’observation, les femmes qui viennent chez nous lui feraient confiance.

J’ai apprécié son parti pris d’offrir aux lecteurs une interprétation de son immersion. Il nous a croquées à certains moments qui lui paraissaient importants ou emblématiques et je trouvé cette succession de tranches de vie très réussie !

 

Ce qu’elles vivent n’est ni de l’amour ni de la jalousie, ce n’est que de la violence

AIDER LES FEMMES VICTIMES DE VIOLENCES A RETROUVER UNE VIE ÉPANOUISSANTE

Nicolas Wild : Je pense que rien ne peut se faire si ces femmes n’ont pas le désir de s’en sortir. Le plus difficile pour elles est d’entrevoir qu’il existe la possibilité d’une solution. Il y a plein d’associations en France qui peuvent les aider, il faut qu’elles trouvent le bon endroit pour parler, recevoir des soins, côtoyer des personnes qui ont vécu des choses similaires et se rendre compte qu’elles ne sont pas toutes seules.

Dre Ghada Hatem : Dans un premier temps, il faut qu’elles puissent trouver un lieu où raconter ce qu’elles vivent Et comme elles ont besoin de beaucoup de choses, des structures comme la nôtre qui apportent des solutions globales sont très utiles. Ce type de lieu permet de prendre en charge les différentes dimensions impactées par les violences (sociale, santé physique et psychique, etc.). Il leur faut également des avocats, du soutien juridique, de l’hébergement, c’est un parcours très long. Et plus elles seront seules, plus ce sera difficile.

Danièle Brun : Un lieu comme la Maison des femmes permet d’apporter un accompagnement aux victimes qui sont dans la sidération. Le collectif offre un espace de parole, un cocon qui vous fait renaître en tant qu’individu à part entière. Cette renaissance s’accompagne de la découverte d’une force intérieure trop longtemps méconnue. Mais une fois reconstruite à travers cet espace sécurisant, il s’agit aussi de se reconstruire individuellement. Et donc de savoir se détacher de ce collectif où votre appartenance est justifiée par votre statut de victime.

 

FRANCHIR LES DIFFÉRENTES ÉTAPES QUI AIDENT À ALLER MIEUX

Nicolas Wild : Quand elles se sentent prêtes à sauter le pas, je pense qu’il faut que les femmes victimes de violences commencent par appeler un numéro comme le 3919 (Violence Femmes Info, le numéro national de référence pour les femmes victimes de violences, NDLR) ou trouvent un endroit où se réfugier. Elles peuvent aussi renouer avec des amis perdus de vue, parce que souvent lorsqu’elles sont prises dans la violence, elles ont coupé le contact avec les gens qui leur faisaient du bien. Il faut ensuite qu’elles réapprennent à s’aimer : elles ont tellement entendu qu’elles étaient nulles et moches qu’elles y croient. Mais bien sûr, ce sont des processus extrêmement longs et il ne faut pas qu’elles se découragent…

Dre Ghada Hatem : La première chose qu’il faut qu’elles comprennent c’est que ce qu’elles vivent n’est ni de l’amour ni de la jalousie, ce n’est que de la violence et c’est inacceptable. Quand il y a des enfants, il faut aussi admettre que préserver le lien avec le père n’est pas une bonne idée et qu’il faut porter plainte contre cet homme. Mais quand on est sous emprise, cela prend du temps.

Danièle Brun : Comme dans le conte de Blanche-Neige, les femmes qui ont été victimes de violences doivent reprendre vie et faire à nouveau confiance à la part d’elles qui a été anesthésiée et qui doit pouvoir se réveiller. Elles vont devoir prendre de la distance par rapport à ce qu’elles ont vécu, se dire qu’elles ne sont pas coupables, redécouvrir leur féminité et restaurer la manière d’habiter leur corps et de se comporter avec les autres, afin de pouvoir aller de l’avant.

Nicolas Wild : Chapitre 26 : Sophie C’est une des rencontres qui m’a le plus ému et nous sommes devenus amis. J’ai eu envie que son témoignage soit assez complet car elle m’a beaucoup parlé de ce qu’elle avait vécu en tant que victime de violences conjugales et m’a fait rencontrer des amies qui avaient eu des expériences similaires. C’est une jeune femme très courageuse qui a eu la force de s’en sortir et je l’admire beaucoup. Elle dessine des BD et cela a été une thérapie pour elle de mettre son histoire en bulles, j’ai même intégré certaines de ses planches dans le chapitre qui lui est consacré.

 

GÉRER LES TRAUMATISMES

Nicolas Wild : Je connais des femmes qui ont des syndromes post-traumatiques, qui se réveillent la nuit et qui sont en train de revivre physiquement des violences du passé. On pense que lorsque la femme est libérée de son conjoint violent et qu’elle retrouve l’amour, le prince charmant arrive, que la femme est sauvée et qu’elle est heureuse. Mais ce n’est pas si simple que cela et quand une femme qui a vécu ce genre d’enfer se remet en couple, le nouveau conjoint ne se rend pas forcément compte de ce que ce passé implique ni comment il peut l’aider. Je ne pourrais que lui conseiller d’être patient et de donner beaucoup d’amour…

Dre Ghada Hatem : On ne peut pas faire une prise en charge globale des violences sans prendre en charge le trauma. Cela repose, par exemple, sur un suivi avec les psychologues et les psychiatres. Et pour celles qui ne souhaitent pas une prise en charge psychologique, nous proposons des ateliers pour améliorer son estime de soi, du karaté, du théâtre, du yoga, etc. Nous mettons tout à disposition et nous les conseillons. À elles ensuite de cheminer…

Danièle Brun : II me semble que la meilleure manière pour ces femmes de se réparer est d’abandonner progressivement leur statut de victimes et leur rapport à la violence des autres. Je les encouragerais à retrouver une forme d’enfance pour comprendre le présent et envisager l’avenir en retrouvant la part d’elles qui a été étouffée.

 

LIMITER LES RISQUES DE RETOURNER VERS UN CONJOINT VIOLENT

Nicolas Wild : Les femmes victimes de violences ont tendance à toujours trouver des excuses à l’homme qui les maltraite. Il faut qu’elles arrivent à réaliser qu’elles ne peuvent pas sauver quelqu’un qui essaie de les manipuler ou de les tuer et que c’est leur survie qui doit être au premier plan.

Dre Ghada Hatem : À partir du moment où vous aidez ces femmes à sortir de l’emprise, elles pourront mobiliser les outils qu’on leur aura fait connaître pour que les choses dans leur vie ne soient pas en perpétuelle répétition. Il n’y a cependant pas de système qui protège complètement, tout dépend de ce qu’elles auront développé comme défense et comme autonomie. Mais plus elles auront compris les mécanismes qui les ont conduites là où elles étaient, plus ce sera facile de détecter la bombe avant qu’elle ne leur tombe à nouveau dessus.

Danièle Brun : Je pense qu’il est essentiel que ces femmes victimes de violences essaient de comprendre comment elles ont pu se laisser aller à cette emprise-là, sous peine que le schéma se répète. Je ne crois pas qu’il s’agisse juste de dénouer un lien, il faut creuser dans les mécaniques qui ont permis qu’elles soient aussi sensibles à l’autorité illusoire que la violence projette sur elles.

Magalie Guilpain

Nicolas Wild : Auteur d’À la maison des femmes, Editions Delcourt

Danièle Brun : Autrice de La Féminité retrouvée, Editions Odile Jacob

Fémi-9 décembre 2021 • février 2022

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